La marche humaine: concepts philosophiques et exploration

   Si la station debout a permis à l’homme de voir plus loin et plus haut, la marche lui a donné la liberté de se mouvoir sur des reliefs extrêmement variés. Cette liberté est aussi source de santé, la marche rapide étant conseillée pour entretenir le capital osseux et musculaire et surtout pour atténuer le risque cardiovasculaire. Cette activité est en conséquence essentielle pour les personnes âgées et un grand nombre de retraités s’astreignent quotidiennement à cet entretien physique. Le regain du besoin de marcher chez les plus jeunes est aussi constaté au travers du nombre de pratiquants des chemins de Compostelle ou des sentiers de montagne (GR3, GR10 ou GR20 en Corse).

 

La marche, symbole de société en action.

            La marche est le symbole du désaccord envers une prise de position politique ou un évènement tragique : la marche du sel de Mahatma Gandhi en 1930 pour l’Indépendance de l’Inde, les marches blanches suite à la mort de victimes de faits divers, les cortèges des manifestations dont la plus connue est celle du 1er mai. Ces rassemblements de citoyens gardent une connotation pacifique même si parfois des débordements peuvent survenir.

Bernard Olivier propose aux délinquants une marche de 2000 kms pour s’en sortir et retrouver l’estime de soi (livre « marche et invente ta vie »).

Axel Kahn, généticien célèbre et président d’Université a traversé la France à pied en 2013 à la rencontre des français et en a sorti un ouvrage « Pensées en chemin ». Il montre que la marche permet d’appréhender les paysages mais aussi les comportements humains.

 

  La marche, libératrice du stress et source d’inspiration.

            La marche faisait déjà partie de la philosophie du Chinois Lao-tseu (vers -500) : le mot « Tao » (« voie ») est aussi le chemin emprunté par le marcheur.

Si pour la plupart des marcheurs, le mental est en activité, pour d’autres sa maîtrise conduit à la sérénité. Ainsi, des philosophes célèbres trouvaient leur inspiration dans la marche : Kant qui partait en promenade à heure fixe, Rimbaud et son besoin viscéral de liberté et de soleil, Nietzsche qui ne savait réfléchir qu'en marchant (F Gros dans « Marcher, une philosophie »).

A l’opposé, la méditation en marche (ou méditation active) conjugue les bienfaits physiques de la marche aux effets positifs de la méditation sur les émotions et l’esprit. Elle peut contribuer à améliorer la concentration et à combattre le stress. Lorsque le méditant marche, il doit être conscient de tous les mouvements successifs faisant partie du processus de la marche, depuis le moment où il lève le pied, jusqu’à ce qu’il le repose.

 

Une activité acquise et automatique.

            La marche n’est pas une activité innée chez l’homme qui doit l’apprendre lorsque la maturité de ces muscles le lui permet. Cette activité devient alors automatique jusqu’à l’accident qui peut empêcher la marche pendant un temps plus ou moins long. On connaît tous des hémiplégiques ou polytraumatisés qui ont du se battre pour récupérer cette fonction. De même, nous connaissons l’importance d’ostéosynthèser rapidement la fracture du col fémoral chez le vieillard pour qu’il ne perde pas ses automatismes de marche.

 

 Une activité à vitesse adaptée.

             La marche se réalise à une vitesse adaptée aux circonstances et peut varier selon la volonté. Nous connaissons la marche lente et recueillie du cortège funèbre, la marche piétinante dans le magasin bondé le samedi, la marche rapide et sportive recommandée pour l’entretien cardiovasculaire, la marche rythmée et endurante du montagnard qui lui permet d’affronter les sommets.

En fait, la vitesse doit être adaptée à la morphologie (longueur des membres inférieurs, mobilité articulaire,..), aux capacités cardiorespiratoires et finalement chacun à son rythme adaptée au minimum de consommation d’énergie. Après une arthrodèse de cheville, la marche devient asymétrique avec diminution de l’enjambée par perte du mouvement pendulaire inversé de la tibiotarsienne et en conséquence la dépense d’énergie augmente.

Marcher seul ou en groupe ?

« Etre en compagnie oblige à heurter, empêcher, fausser le pas. Parce qu’il s’agit bien, en marchant, de trouver son rythme fondamental et de le garder. Le rythme fondamental est celui qui convient à chacun, à ce point qu’il ne se fatigue pas et peut marcher plus de dix heures sans s’épuiser. Mais il est très exact. Alors, quand il s’agit de se caler sur le pas d’un autre, pour accélérer ou ralentir, le corps suit moins bien » (F Gros).

 

Une activité adaptée au terrain.

            L’étude complète des capacités de marche doit intégrer la marche sur les talons, sur la pointe, sur le plan incliné latéralement dans les deux sens et le demi-tour. Dans la marche, l’orientation du pied dépend de la hanche pour le virage, de la mobilité de la cheville et de l’hallux pour  le pointe-talon et de la pronosupination du pied pour la pente latérale. La montée et la descente des escaliers donnent d’autres conditions de marche particulières. L’utilisation de bâtons de marche notamment lors de la pratique de Nordic Walking permet de mieux s’adapter au terrain et de ménager les genoux tout en travaillant davantage les membres supérieurs.

 

 La personnalité de la marche ou démarche.

             En regardant marcher les gens dans la rue, on constate les grandes variations selon les personnalités et les morphotypes. La vitesse est un critère facile à repérer : il y a la marche rapide de l’homme d’affaire pressé, le piétinement du couple qui se promène en ville ou du vieillard, la grand mère qui promène son chien ou ses petits-enfants, ... Il y a celui qui a les bras ballants et celui qui a les mains dans les poches, celui qui regarde droit devant et le dépressif qui baisse la tête,.. Tous marchent mais peu ne pensent à leur façon de marcher. Certains ont des déformations des pieds ou des chevilles, d’autres sont instables au niveau des chevilles ou du genou, d’autres ont de mauvaises chaussures et tant que la douleur ne les alerte pas, il marche mal.

Il existe aussi des marches professionnelles : la marche militaire du défilé du 14 juillet est bien connue, celle des légionnaires étant spécifique, la marche du mannequin lors du défilé, la marche style cadre dynamique de certaines écoles de marketing.

La camptocormie oblige le vieillard à utiliser une canne, le centre de gravité étant reporté en avant du rachis de manière importante.

De même, les filles qui ont un bassin large et une hyperlordose lombaire marchent avec un mouvement caractéristique du bassin.

Certaines démarches sont célèbres comme celle de Charlie Chaplin les pieds en dehors avec sa canne légendaire. Mais s’agit t’il d’une démarche ou d’une marche pathologique ?

 

La marche pied nu ou chaussé ?

             La marche pied nu permet un travail musculaire adéquat mais occasionne un risque d’agression par des éléments laissés sur le sol tel que le caillou ou le bout de verre. La marche sur le sable de la plage l’été en est un bon exemple.

La marche chaussée est protectrice mais la façon de marcher peut varier énormément selon le chaussage : les talons hauts surchargent l’avant-pied et rétractent les gastrocnémiens, les chaussures plates (ballerines) déportent le poids sur le talon, les tongues ou certains sabots limitent le déroulement normal du pas avec parfois une griffe du 2ème orteil pour stabiliser, les chaussures à bascule (MBT, Sano,...) au contraire facilitent le déroulement du pas même en cas de blocage articulaire de la cheville ou de l’hallux.

Les chaussures minimalistes essayent de garder la perception du pied nu tout en étant protégé mais on constate qu’elles entraînent un surmenage des muscles du pied.

 

 La marche pathologique.

         L’ouvrage de R, J et P Ducroquet, « la marche et les boiteries » en 1965, décortique remarquablement les marches pathologiques qui peuvent survenir soit dans les affections du pied, du genou, de la hanche ou parfois généralisées.

La boiterie se définit par une marche anormale. Elle est souvent d’origine ostéoarticulaire mais parfois vasculaire (la claudication intermittente de l’artérite) ou neurologique (la claudication intermittente médullaire ou méralgie paresthésique).

La boiterie antalgique associe une esquive d’appui sur la zone douloureuse pour le pied, une diminution de l’appui monopodal sur le membre douloureux avec une marche asymétrique, un ralentissement de la vitesse de marche. Il s’en suit un déséquilibre postural, source de douleurs rachidiennes, du bassin ou du genou opposé.

La raideur articulaire au niveau de la hanche, du genou ou des pivots tibiotarsien ou métatarsophalangien du pied diminue la longueur du pas, ralenti la vitesse  et augmente la consommation d’énergie.

L’inégalité de longueur des membres inférieurs conduit ou non à des compensations en fléchissant le genou opposé ou en se mettant sur la pointe du pied du côté le plus court.

L’équin de la cheville favorise le recurvatum du genou dans certains cas  ou le flessum pour les autres.

Le pied plat valgus sévère unilatéral entraîne une poussée de la propulsion vers le côté opposé ; ce qui majore l’appui sur le bord latéral du pied opposé et corrige en partie l’affaissement du pied opposé.

Dans certains pathologies neurologiques, la démarche est caractéristique : la marche à petit pas du Parkinson, le steppage de la paralysie du sciatique poplité externe,…

 

La chute : les obstacles de la marche

            Lorsque la marche est perturbée par un élément externe latéral (bousculade, porte) ou provenant du sol (tapis, nid de poule, verglas), elle conduit parfois à la chute avec son panel de fractures possibles surtout chez les personnes âgées : poignet vers 65 ans quand les réflexes sont encore présents, col fémoral et huméral vers 80 ans. Il faut toujours considérer que la marche nécessite non seulement une bonne coordination des membres inférieurs notamment proprioceptive mais aussi un bon contrôle visuel et un bon équilibre vestibulaire ou cérébelleux. Les chutes en montagne sont souvent liées à un sol insuffisamment stable.

 

L’amputation et la prothèse de jambe.

         Lorsque la marche n’est plus possible pour des raisons de douleur ou de déformation sévère, l’amputation de jambe reste une solution efficace pour éviter le fauteuil roulant et la  perte de l’autonomie. Les prothèses de jambe sont aujourd’hui très performantes et permettent le sport à haut niveau même pour les amputés des 2 jambes (Aimée Mullins, Oscar Pistorius). Les nouvelles prothèses permettent une adaptation à la vitesse grâce à des capteurs adaptant le mouvement à l’impact et donnent une impression proche de la normale. On peut se poser la question de la performance des futures prothèses qui pourra peut-être dépasser le pied normal.

 

Comment analyser la marche ?

            Les premières analyses de la marche ont été réalisées sur les empreintes laissées sur le sol par la préhistoire. On ne trouve pas vraiment de dessins rupestres évoquant la marche des hommes préhistoriques.

Marey (1873, La Machine Animale) fut le premier à étudier la marche à la fois par l’analyse de la pression du pied au sol avec sa chaussure avec une chambre à air dynamométrique et par la chronophotographie. Il est donc à l’origine  de la baropodométrie et de la cinématographie utilisées aujourd’hui.

Bessou (Toulouse) mis au point son locomètre pour la mesure des paramètres de la marche : longueur du pas, vitesse, cadence. Dans un second temps, l’utilisation du bio feedback permit de corriger les paramètres pathologiques dans les pathologies neurologiques et les prothèses de  hanche.

La baropodométrie est l’étude des pressions du pied au sol. Elle utilise des capteurs résistifs ou capacitifs placés au niveau de plateforme de pression, de semelles embarquées ou de pistes de marche. Les mesures sont récupérées sur un ordinateur par un cable ou un système bluetooth pour les semelles embarquées ce qui permet de marcher sur une distance plus longue sans contraintes.

Cet examen n’étudie que la phase d’appui du pied qui est par ailleurs influencée par la posture de l’individu et la poussée de l’autre pied.

La vidéo de la marche donne une analyse globale du mouvement du corps et des membres. En pratique quotidienne, l’utilisation du smartphone avec un logiciel de ralentissement de l’image permet un bilan rapide et transmissible par voie électronique afin de partager un avis sur un dossier. Une analyse plus poussée est l’Analyse Quantifiée de la Marche (AQM) qui se fait dans un laboratoire de la marche et qui intègre la cinématographie, la cinésiologie, l’électromyographie et l’analyse sur plateforme de force. Ce bilan plus complet nécessite des professionnels formés et est surtout indiquée pour les pathologies neurologiques complexes dans le cadre des traitements par toxine botulinique ou de la chirurgie.

En dehors des études neuro orthopédiques de la marche, il existe des études comportementales notamment chez le vieillard et chez les dépressifs et on constate par exemple des modifications de la marche par les traitements antidépresseurs.

 

Conclusion.

 La marche est une activité si banale que nous en oublions l’importance pour notre santé physique et morale. La sédentarité nous oblige à l’intégrer dans notre planification hebdomadaire alors que si nous l’utilisions comme moyen de locomotion pour nos trajets quotidiens, nous n’aurions pas de nécessité à en faire une activité à part. Si les retraités l’ont bien compris, les actifs pris au piège des contraintes professionnelles et parfois familiales (déposer les enfants à l’école), mériteraient une réflexion des pouvoirs publics pour faciliter une activité "économique". C’est une des activités pour laquelle la dépense d’énergie est bénéfique en respectant l'environnement!